La 30e édition de Chéries-Chéris, festival du film LGBTQIA & +++ de Paris, a délivré son palmarès le 26 novembre. Un jour plus tard, un des membres du jury, Julia Layani, poste ce communiqué sur Instagram :
« Notre société est malade et j’en ai été victime hier soir. Victime. Ce mot que je déteste tant. je m’étais pourtant promis de ne jamais l’être. On avait pourtant dit en France « plus jamais ça ». Et pourtant.
Il y a quelques semaines j’ai eu l’honneur et l’immense joie d’être invitée pour être jurée du festival emblématique de cinéma LGBTQ+ Chéries-Chéris. Depuis 30 ans, cet événement célèbre et sublime les diversités de la culture queer et la rend plus belle, plus forte, plus sonore.
J’ai donc regardé 68 couts métrages. 68 histoires plus poignantes les unes que les autres. Des films de tous les pays du monde qui participent à nous rapprocher tous autant qu’on est, que l’on soit LGBT ou non. Chéries-Chéris est nécessaire et magnifique. C’est donc avec sérieux et rigueur que j’ai regardé la moindre minute de ces 68 films géniaux.
Mais le ver est dans le fruit et j’ai vite fini par le comprendre. Il y a une dizaine de jours, une gentille personne que je ne connais pas m’a envoyé un message sur Instagram pour me prévenir que l’une de mes connaissances allait signer une tribune pour me faire virer du jury car je suis, je cite, « sioniste d’extrême droite ». Le choc est tel devant l’association de ces deux termes. Pourquoi moi ? J’ai pris la décision, il y a un an de ne plus parler de ce conflit qui m’attriste tous les jours vu les horreurs qui se passent des deux côtés. J’ai toujours dit mon empathie envers les deux peuples et je me suis toujours exprimée contre les agissements du gouvernement israélien. Mais la question qui me taraude est la suivante : que vient faire ce conflit dont je ne parle jamais dans un argument visant à me virer d’un festival LGBT ? Quel est l’indice de mon sionisme puisque je ne le mentionne jamais. Connaissent-ils même la définition du mot sionisme ? Et puis cette mention d’extrême droite, que vient-elle faire là. Moi qui me bat depuis toujours, et pour le coup publiquement contre l’extrême droite justement ?
Après réflexion, ma décision est prise : je vais me taire. Je ne veux pas faire de vagues, j’ai la flemme d’attirer l’attention sur ce sujet, je ne veux surtout pas me victimiser. Je continue donc mes soirées visionnage des courts métrages et participe à la rencontre des autres membres du jury, tous sympathiques. Je ne sais pas qui est signataire de la tribune et je m’en fiche. J’ai la même attitude polie et gentille avec tout le monde. Les responsables du festival sont encore une fois adorables et ne me parlent à aucun moment de cette tribune qu’ils ont reçue à mon encontre.
Vient le dîner de délibération des prix. Je ne sais pas pourquoi mais je sens que quelque chose se passe dans mon dos. Des regards, des messes basses, des tensions. Lors du dîner, l’une des jurées, encore une fois sympathique au demeurant, balance cette phrase « si il y a des sionistes dans les équipes des films, ça serait bien de le savoir ». Encore une fois, je me tais, sans doute par sidération, mais surtout par habitude. Je rentre chez moi et j’ai la rage. La rage de ne pas avoir réagi. La rage d’avoir laissé passer quelque chose qui touche à mon intime et à notre humanité à tous.
Arrive le jour de la cérémonie de clôture du festival. Ce jour-là, un compte Insta que je ne citerai pas fait un post à mon encontre. Ma faute est celle-ci : j’ai invité Caroline Fourest dans mon podcast qui a des positions polémiques sur le conflit israélo-palestinien. [Voir ici - NDLR] Et même si vous n’êtes pas d’accord, avez vous tellement perdu votre humanité pour ne plus pouvoir discuter, non, la mode est à l’annulation, cancel sans autre forme de procès, sans rencontre, sans communication. On est pas d’accord. On cancel. Triste société.
Peu après dans la journée, un mail. Des membres du jury veulent parler des atrocités qui se passent dans le monde. Ils invitent les autres jurés à monter sur scène avec eux. Ils mentionnent Gaza, le Liban et l’Iran. Quelle bonne idée. Le festival est une bonne opportunité pour dénoncer l’innommable. Je réponds donc que je me ferais une joie de me joindre à eux s’il est possible de mentionner les otages israéliens encore captifs du Hamas. Pas de réponse. Il est pourtant 16h30, la cérémonie est dans quelques heures, vous aviez tout votre temps pour me répondre. La cérémonie arrive, toujours pas de réponse.
Et là, le grand fiasco commence. Je m’assoie dans la salle. L’un des membres de la tribune « pour la paix » vient me voir et me demande de le suivre. Je suis donc sortie de mon groupe d’amies qui étaient là pour me protéger si quelque chose tournait mal. Il m’isole et me dit que le groupe n’a pas validé ma phrase. Le groupe ne veut pas ajouter au texte les otages israéliens. Mon cœur bat tellement fort que je dois lutter pour sortir un « pourquoi ? » de ma gorge. Sa réponse : « parce que ce n’est pas le sujet ». Ce n’est pas le sujet ? Mais vous allez parler des crimes commis à Gaza, c’est précisément le sujet non ? Aucun argument en face. Mon cœur ralentit, le ton monte. Puis-je parler d’antisémitisme ? Évidemment que non. Ce mot ne peut plus être prononcé. Il me dit que je suis dangereuse de dire que c’est antisémite. Au bluff je lui dis « et si je ne parle pas des otages, je peux quand même monter sur scène avec vous ? » Il me répond « non ». Encore au bluff, je lui dis « alors je ne monte pas sur scène mais parlerez-vos des otages ? » Même réponse négative. C’est bien ce que je pensais, je suis censurée, silenciée, exclue, excommuniée. Je suis victime d’antisémitisme. Mais je n’ai pas le droit de le dire. Dans ce moment d’une intensité rare, on vient le chercher car c’est le moment de monter sur scène pour dire « la paix » aux côtés de ses copains pseudo humanistes déguisés. J’assiste à ce sordide spectacle, impuissante, isolée, sur le côté. On les applaudit. Ma rage monte d’un cran à chaque seconde. Ils sont 6 sur scène et je suis seule. 6 contre 1. david contre Goliath. Je prends donc mon courage à deux mains et monte sur scène sans autorisation. Cette séquence vidéo est donc le moment d’émotion et de frustration le plus fort de ma vie.
J’apprends plus tard qu’en fait vous étiez 12.
12 contre 1.
12 à avoir signé la tribune pour me faire virer du festival.
12 à refuser que je monte sur scène à vos côtés pour dire la paix.
12 à ne pas vouloir parler des Israéliens otages du Hamas.
Ils sont 120 eux et depuis 1 an et demi. Dont 2 Français comme vous.
Cette histoire fait de moi une témoin de la monté du fascisme en France en 2024.
Je tiens à remercier chaleureusement Molka et Gregory pour m’avoir protégée pendant toute cette période. Le festival Chéries-Chéris reste un espace safe grâce à votre humanité. Mais pour combien de temps ?
Personnellement, je prône la diversité d’opinions, l’échange, la communication et la résilience. Pour vous autres geôliers de la bien-pensance : apprenez à penser, votre haine peut être changer en quelque chose de positif et de salvateur. Faites le travail pour devenir meilleurs. On ne lutte pas contre les discriminations en reproduisant des discriminations. »
Les réactions ne se sont pas fait attendre. Le groupe mk2 qui accueille via trois salles de projection parisiennes le festival Chéries-Chéris s’est fendu de ce communiqué :
« mk2 exprime son indignation après les incidents dénoncés par Julia Layani, survenus lors de la cérémonie de clôture du festival Chéries-Chéris. mk2 défend et défendra toujours la pluralité de points de vue, dans nos salles, nos productions, nos conférences, nos médias. »
La ministre de la culture, Rachida Dati, a Xté ceci :
« Les pressions dont a fait l'objet Julia Layani, jury de Chéries-Chéris, en raison de sa confession religieuse sont une atteinte grave aux valeurs de notre République. Je salue la position de @mk2 qui rappelle l’importance de défendre la pluralité et le respect. L’antisémitisme n’a pas sa place, nulle part. »
Vice-présidente du conseil régional d'Île-de-France chargée de la Culture, du Patrimoine et de la Création, Florence Mosalini Portelli a Xté ça :
« La région suspend sa subvention au festival Chéries-chéris. Ce qui s’est passé est révoltant, une honte! Et hélas pas surprenant. La politique de Valérie Pécresse est et restera intransigeante dans sa lutte contre l’antisémitisme. »
N'est-ce pas trop sévère, voire injuste ? Les deux organisateurs de Chéries-Chéris, Grégory Tilhac et Molka Mhéni, ne sont nullement mis en cause par Julia Layani.
À suivre…